Prologue
Ah ! J’ai mal aux yeux ! J’ai encore franchi la porte cette nuit !
Mais cette fois mon corps souffre moins ! Quoique je ne pense pas
pouvoir bouger le moindre petit muscle. J’ouvre, je ferme les yeux,
je respire, ce sont les seules choses dont je suis capable. Quelqu’un
m’a mis dans mon lit, je ne sais pas qui, peut-être elle… J’essaie de
m’endormir, mais c’est dur, je ressens encore les coups de poing dans
mon ventre, la douleur qui me pénètre par tous les pores de ma peau,
le sang qui coule de mes lèvres. Que ce goût est amer et difficile à
supporter ! Mon orgueil en a pris un coup ! Je reprends mon souffle,
et je ferme les yeux à nouveau en pensant à mon passé, à cette première
fois… C’était un vendredi 13.
I
Lanneau du changement
Comme chaque vendredi je me levai tôt, je déjeunai, c’était un face à-
face entre mon bol de céréales et moi. Une fois prêt et emmitouflé
avec manteau, écharpe et compagnie, je marchais tête baissée en
direction du bus. J’habitais au numéro 21, rue de la Lune, dans une
petite ville fleurie. Malgré le fait que ce soit plutôt paumé comme
coin, une ligne de bus passait juste à côté de chez moi. J’étais le
premier à monter, alors ce n’était pas compliqué de trouver une place
confortable où je pouvais me rendormir.
Malheureusement, dix arrêts plus loin, il y avait toujours quelqu’un
pour se mettre à côté de moi. On en trouvait pour tous les goûts : de
la vieille qui se serrait et qui avait une odeur de cornichon, au vieux
qui empestait l’alcool en passant par le jeune tombé dans un parfum
« viril » qui me faisait monter les larmes aux yeux.
Je savais que je n’étais pas un garçon très agréable qui sourit à
longueur de journée et qui plaît aux filles par son côté mystérieux.
Alors je redoutais le moment où elles s’asseyaient à côté de moi tout
en me dévisageant. Je pouvais presque les entendre penser « C’est
qui ce plouc ? Il ne prend même pas un minimum soin de lui avec son
jean déchiré et ses cheveux mal coiffés… » Bref j’étais peu apprécié.
Mais ce jour-là elle entra dans le bus, son visage entouré d’une grosse
écharpe laissait apparaître un sourire magnifique qu’elle destinait au
chauffeur, avec un « bonjour » en guise de salutation. Cette entrée
aurait pu être parfaite si elle ne s’était pas entravée dans l’escalier
puis cognée la tête contre une barre en fer. Rouge de honte, elle
traversa le bus et s’assit à côté de moi. Pour une fois, c’est moi qui
pendant le trajet la regardais. Elle avait des yeux noirs et fins sans
aucune trace de maquillage. Son nez décrivait une jolie courbe
jusqu’à ses fines lèvres roses. Ses joues rouges laissaient apparaître
sa gêne de tout à l’heure, ce qui la rendait encore plus craquante, et
son visage était à moitié caché par une belle chevelure noire et
ondulée. Elle me faisait une impression étrange, quelque chose que
je n’avais jamais ressenti auparavant. J’aurais aimé la regarder plus
attentivement mais le bus venait d’arriver devant la fac. Je me levai,
elle me laissa passer, mais avant que je ne franchisse la porte, elle
attrapa ma main gauche, fit glisser un anneau à mon doigt, me
murmura « ce sera toi » d’une voix mystérieuse et me poussa hors du
bus. Je voulus remonter, mais les portes venaient de se fermer et le bus
démarra. Je la cherchai des yeux mais je ne la trouvai nulle part : elle
avait disparu…
Je me mis à courir à perdre haleine derrière le bus pour avoir des
explications ou pour simplement la revoir, mais peine perdue, il avait
déjà des longueurs d’avance. Déçu, j’abandonnai ma course-poursuite
pour aller en cours. Oui, malgré tous les événements bizarres et
mystérieux, l’heure tourne et malheureusement, les cours ne vous
attendent pas !
Perturbé, je rentrai dans l’amphi, me mis bien au fond à côté des
radiateurs, là où la voix du prof n’est que murmure, et me mis à
observer attentivement cet anneau. Apparemment, il était en argent.
C’était un anneau basique, à la différence près que je n’arrivais pas à
l’enlever ! C’était certainement dû à l’épaisseur de mes doigts. « Ce
sera toi… » Cette phrase résonnait dans ma tête. « Qu’avait-elle
voulu dire ? Et c’était quoi cet anneau ? Et pourquoi moi ? » Des
dizaines de questions commençaient à me torturer les méninges ;
j’étais énervé, très énervé. Pour me détendre, enfin plutôt pour
essayer de me calmer, je cherchai dans ma trousse un critérium pour
donner forme à toutes mes questions, et essayer de trouver un sens à
ce qui s’était passé ce matin…
La journée passa comme toutes les autres ou presque : au lieu de
dormir en cours, je réfléchissais à cette fille. Je gribouillais sur ma
feuille diverses hypothèses sur ce maudit anneau, mais quoi que je
fasse, je finissais toujours par dessiner le visage de cette mystérieuse
inconnue. « Pourquoi est-ce toujours aussi compliqué avec le sexe
opposé ? »
Lorsque le vieux professeur dégarni commençait à ranger ses
affaires, il était temps de filer ! Les six cents étudiants se ruaient vers
la sortie, tandis que moi, je sortais en dernier pour être sûr de ne pas
être bousculé ni piétiné par cette foule d’inconnus. De toute façon
personne ne m’attendait dehors, je n’avais pas d’amis ici. J’en avais
déjà peu au lycée où les classes, petites, favorisaient les relations,
alors en fac, le peu était devenu inexistant ! La seule personne de
mon âge qui m’avait adressé la parole depuis un mois, c’était la fille
de ce matin. J’espérais la revoir dans le bus, mais rien, personne,
jusqu’à ce qu’une petite fille vienne s’installer à côté de moi ! Par
chance, elle au moins sentait les friandises et resta calme jusqu’au
moment de partir. Elle sauta de son fauteuil, se dirigea vers la porte
et d’un coup se retourna, me regarda avec un grand sourire et dit :
« Faudra essayer de l’ouvrir tu sais ! » En sortant du bus, elle me fit
un signe de la main, et là, stupéfaction, sur sa main gauche un anneau
en argent ! Non ça ne pouvait être qu’une coïncidence ! Je la cherchai
du regard mais elle aussi avait disparu. Non pas par magie, mais
derrière un grand bâtiment. Je ne comprenais toujours rien : « ce sera
toi », « faut essayer de l’ouvrir tu sais ! » « C’est quoi que je dois
ouvrir bordel ? » pensai-je, énervé. Moi de nature si calme ! Je
n’aimais pas ne pas comprendre ! Pour ne pas devenir complètement
fou, je décidai de laisser cette histoire de côté.
Une fois sorti du bus, je marchai le long du trottoir jusqu’à une
maison blanche avec des volets gris. Bien qu’il n’y ait pas d’étage,
elle était relativement grande. Je poussai le petit portail qui grinçait
et je regardai la nouvelle famille de rouge-gorge qui avait élu domicile
sur le prunus au milieu du petit jardin. Elle semblait heureuse,
bien protégée par des branches solides, sans problème ni angoisse…
J’ouvris finalement la porte d’entrée qui menait dans la salle à
manger et me dirigeai à contrecoeur dans la cuisine.
— Bonjour mon chéri, ta journée s’est bien passée ?
— Oui mam’ ! dis-je d’un ton monotone.
Voilà comment je répondais depuis une dizaine d’années jour après
jour. C’était suffisant pour elle…
— Va te laver les mains et viens à table mon choupinou !
— Oui.
Qu’est-ce que je pouvais détester ce surnom débile ! Mais bon,
c’était l’une des seules marques d’affection qu’elle me donnait, alors
je laissais passer !
En me regardant dans le miroir, je repris conscience de ce qui
s’était passé aujourd’hui. Et j’étais fermement décidé à ôter cet
anneau à l’aide de savon. Mais impossible de l’enlever ! Pourtant la
fille n’a eu aucun mal à me le mettre, alors logiquement il devrait être
facile à enlever ! Eh bien non ! Pour la seconde fois, mon cerveau
commençait à bouillonner, alors j’abandonnai et je me dirigeai vers
la table où le repas m’attendait.
On était trois, ma mère, moi et la télé ! J’étais affalé sur ma chaise,
mes cheveux bruns cachaient mes yeux noisette qui regardaient fixement
la bouillasse verdâtre dans mon assiette. Ma mère, quant à elle,
se tenait très droite, ses cheveux roux tirés en arrière, et c’étaient ses
lunettes vertes qui cachaient ses yeux noirs. Certains auraient pu dire
que c’était une belle femme, pour moi elle n’était rien d’autre qu’une
mégère… Quant à la télé, elle était carrée, vieille et grésillante. C’est
bien d’avoir une télé quand on n’a rien à se dire mais bon, subir
chaque soir « Pour un corps encore jeune prenez la pilule Ila, grâce à
elle, vous perdrez vos kilos en trop… Pour des cheveux encore plus
soyeux utilisez Real, parce qu’il est fait pour vous… Un petit creux ?
Qu’est-ce que vous attendez, courez vite dans votre réfrigérateur
pour déguster une merveilleuse et moelleuse barre chocolatée !
Crountch, la barre qui vous fait rêver… Envie de voyage ? Envie de
vous sentir vivre ? Adoptez la nouvelle voiture VOLVE… » C’est
génial les pubs ! Ça parle de corps, bouffe et voiture ! Et si ça ne vous
a pas achevé, juste après, à huit heures pétantes, on entend : « La
guerre continue entre les pays frontaliers. La population est la plus
touchée, des centaines de femmes et d’enfants… Un jeune homme
est retrouvé mort, poignardé à dix reprises… Un jeune Américain est
entré dans son lycée et a tiré sur plusieurs de ses camarades et
professeurs… La maladie du sommeil fait de nouvelles victimes en
Europe… » C’était extrêmement gai ce soir encore ! Je préférais
aller me coucher.
Une fois dans mon lit, je grignotai une barre Crountch (eh oui,
j’étais victime de la société de consommation !). Ma faim apaisée, je
m’endormis facilement. Cette nuit encore je fis des cauchemars. J’en
avais presque l’habitude, c’était comme un monde parallèle ! Mais là
c’était pire, je revoyais la fille du bus, je lui courais après mais une
douleur m’arrêtait : c’était l’anneau qui me compressait le doigt. La
gamine surgissait d’un coup en me faisant tomber dans une sorte de
brume. J’apercevais des choses étranges, des ombres qui bougeaient,
qui hurlaient ! « AHHHH ! » hurlai-je. Mes oreilles ! Du sang
coulait contre ma nuque. Je me débattais mais rien à faire quelque
chose m’enveloppait, c’était doux et brûlant à la fois. Je souffrais,
cette douleur était atroce… « OUVRE-TOI ! » criai-je. Je ne savais
pas pourquoi, c’était sorti de mes entrailles qui se convulsaient de
douleur.
Je m’envolais, non plutôt je flottais au-dessus de la brume, l’anneau
s’enleva de mon doigt et s’agrandit de plus en plus. Il avait
maintenant la taille d’une porte. Je pouvais voir, à travers, quelque
chose de flou, on aurait dit de l’eau qui ondulait. Comme absorbé,
j’avançai d’un pas sûr et passai ma main au travers de la porte.
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Ça brûle, c’est abominable
! » Une douleur effroyable me parcourut le corps. C’était comme
si quelque chose avait pénétré mon corps et avançait le long de mes
veines en déchirant ma peau. La douleur irradiait mon abdomen.
Suffoquant, j’entendis ma mère taper à la porte en criant « Oh ! Tu
vas te calmer, j’essaye de dormir MOI ! » La réalité m’aspira hors de
ce cauchemar ! Je me réveillai en sursaut, couvert de sueur. Le choc
avait chassé l’air de mes poumons. Autour de moi, je ne voyais que
des ombres floues, flottant à la périphérie de mon champ de
vision. Je restai étendu et je m’efforçai de reprendre mon souffle, en
proie à un effroi si grand que j’en oubliai la douleur. Mais elle me
rappela à l’ordre quand j’essayai de me lever du lit. J’étais paralysé.
Jamais de ma vie je n’avais eu si mal. « Comment un simple rêve
peut être aussi réel ? »
Allongé sur cette table de torture, j’avais peur de me rendormir.
« J’ai peur ». C’était si dégradant de dire ça. « Zack, dix-huit ans, a
peur de dormir à cause d’un simple petit cauchemar ! » Pourtant, un
cauchemar n’était pas censé faire mal physiquement. Pfff, je suis
peut-être encore en train de rêver ! espérai-je. Pas besoin de me
pincer, j’avais déjà mal rien qu’en levant le petit doigt ! J’aurais aimé
que quelqu’un soit là, près de moi. Je ne pouvais pas compter sur ma
génitrice, elle m’aurait fait un scandale et ne m’aurait pas cru. Je voyais
ça d’ici : « QUOI ? Tu me réveilles encore pour ces conneries ! » La
seule personne que j’aimais dans cette famille, c’était Lysi, ma petite
soeur, mais en ce moment, elle était chez ma grand-mère. Ma génitrice
faisait, en effet, tout son possible pour l’éloigner de moi. Pourquoi
? Je ne le savais pas. Ma mère aimait Lysi, alors elle pensait
peut-être que j’étais un mauvais exemple pour elle. Pourtant ma soeur
était tout pour moi, et elle m’adorait. Je n’ai jamais compris pourquoi
ma mère ne m’aimait pas. Pendant des années, j’avais tout fait pour
être un fils modèle, mais maintenant, j’avais abandonné, je vivais ma
petite vie monotone… La douleur du coeur se mêla à la douleur du
corps... Des larmes coulaient le long de mes joues, je fermai les yeux
et finalement me rendormis dans mes tourments.
Didididit didididit… Argh ! Saleté de réveil ! Il était 6 h 30, il
fallait que je me lève. J’ouvris mes yeux laborieusement, une
araignée me salua au-dessus de mon lit étroit. Ma chambre était relativement
petite, parsemée de quelques caleçons, livres, cours et
chaussettes par-ci par-là, parce que je n’avais qu’un bureau comme
seul et unique meuble. Mais bon, je n’avais pas à me plaindre, je ne
vivais pas dans un placard sous un escalier.
Péniblement, je me mis debout. Chaque muscle de mon corps me
faisait souffrir, j’en découvrais même des nouveaux ! Devant le
miroir, je remarquai le sang séché autour de mon cou et de l’anneau.
« Comment j’ai pu faire pour me mettre dans un tel état ? » murmurai-
je tout en essayant de me nettoyer. J’avais trop mal à la tête pour
réfléchir, mais lorsque je regardai ma montre, je fus surpris de voir
que j’étais déjà en retard. Alors, à toute vitesse, j’enfilai mes vêtements
qui trainaient par terre, j’attrapai le paquet de gâteaux qui était
sur mon bureau et je courus à toute allure jusqu’à l’arrêt du car.
Dans le bus, je ne vis ni la fille ni la gamine. La place à ma droite
restait inoccupée, mais à la vue de ma tête dans la vitre du bus, je
pouvais comprendre pourquoi ! Mes yeux étaient rouge vif, j’avais
des cernes de cinq centimètres et mes cheveux étaient collés contre
ma nuque à cause du sang que je n’avais pas eu le temps de nettoyer
complètement. Je faisais peine à voir… Je sortis du bus, rien d’inhabituel.
Les cours se passèrent normalement. Je rentrai chez moi de la
manière la plus banale et ce fut seulement en ouvrant la porte de la
maison qu’il se passa quelque chose… A peine avais-je eu le temps
d’en franchir le pas qu’une petite tête rousse me sauta dessus !
— Lysi, que je suis content de te voir, ma petite soeur adorée !
m’écriai-je très surpris, mais heureux.
—Tu m’as manqué, grand frère ! Maman est partie chez la voisine,
alors je peux te parler autant que je veux ! expliqua-t-elle avec un
grand sourire.
—Toi aussi tu m’as manqué ma puce, murmurai-je en la serrant dans
mes bras. Mais tu sais que tu as plein de chocolat sur la bouche !
— Oups, j’avais un petit creux alors j’ai dévalisé les barres chocolatées.
Tu veux quand même que je te fasse un bisou ?
— Bien sûr !
Il n’y a qu’avec elle que j’avais des débordements affectifs ! Elle
était si mignonne avec ses petites bouclettes rousses, ses taches de
rousseur, et ses yeux vert émeraude. Du haut de ses huit ans, elle était
certainement la plus belle, la plus souriante, la plus adorable de
toutes les petites filles !
Malheureusement, nos instants de bonheur profond furent vite
arrêtés par le grincement du portail qui laissait présager l’arrivée de
notre mère. Lysi savait que si elle nous trouvait ensemble, elle me
punirait d’une façon ou d’une autre, alors elle me déposa un baiser
sur la joue et se dépêcha de rentrer dans sa chambre au fond du
couloir et moi dans la mienne, à l’opposé… Malgré le peu de temps
que nous avions eu pour nous, j’étais enivré de bonheur. Mais cela
changea bien vite lorsque ma mère entra dans ma chambre quelques
secondes plus tard.
— Chéri, il faut que je te parle de choses importantes. Maintenant
que tu as dix-huit ans, il faudrait penser à prendre ton indépendance,
dit-elle d’un ton faussement agréable.
— Que veux-tu dire ? répliquai-je d’une voix acerbe.
—Ce n’est pas méchant choupinou, je veux juste que tu partes de la
maison pour te trouver un petit appartement sympa où tu pourras vivre
ta vie d’adolescent. Tu pourras toucher des bourses et en cas de
problème tu arriveras bien à te débrouiller tout seul comme un grand !
Elle partit de ma chambre d’un pas vif qui insinuait « ça ne sert à
rien de discuter, soit tu pars de ton plein gré, soit c’est moi qui te mets
dehors, espèce de vaurien ! » Je savais qu’elle ne pouvait pas tenir de
tels propos à haute voix, car c’était une « mère parfaite et bien élevée ».
Elle crevait d’envie de me jeter dehors depuis longtemps, ce n’est
que maintenant que je comprenais pourquoi elle ne l’avait pas fait
avant. Oui, avant je n’étais pas majeur donc cela aurait été mal vu
qu’elle me mette dehors. De plus, je touchais l’argent des bourses
maintenant, plus ma mère. Moi qui espérais qu’il lui restait un soupçon
d’amour maternel pour son fils, eh bien là, c’était loupé !
Ma seule source de bonheur venait de disparaître à jamais ! Dans
moins d’un mois, je devrais quitter la maison, ce qui signifiait dire au
revoir à Lysi… Ma mère me congédia dans ma chambre pour le souper,
mais je n’avais aucunement l’envie de manger. Je m’endormis
allongé sur mon lit, encore habillé et chaussé. Je préférais sombrer
dans mes cauchemars plutôt que dans la pensée d’un futur solitaire,
dénué de toute tendresse… Oui, seul avec un anneau bizarre, donné
par une fille étrange...
— Bonjour, Zack.
Hein ? Qui me parle ? Où suis-je ? Je ne connais pas cet endroit,
tout est si blanc… Je suis… mort ?
— Mais non idiot ! Tu es dans le monde des rêves, enfin devant
l’entrée ! Tu as pensé à moi en t’endormant, alors j’ai répondu à ton
appel, expliqua-t-elle d’une voix posée.
— Mais tu es la fille du bus qui s’est pris la barre en fer !
— Oui, mais ça tu aurais pu l’oublier ! rétorqua-t-elle.
— Donc si je récapitule, je rêve de toi, et tu peux me répondre…
Comment ça se peut ? Jusqu’à preuve du contraire, tu n’es que le fruit
de mon imagination !
— Non, je peux interagir dans les rêves grâce à cet anneau... – elle
me montra sa main gauche et je vis un anneau identique à celui
qu’elle m’avait glissé au doigt – et toi aussi tu peux maintenant, car
tu as le même.
— Hein ? C’est quoi cette histoire ? Ce n’est pas possible de
pouvoir entrer dans les rêves ! Et c’est quoi cet anneau infernal ? A
cause de lui mes cauchemars me font souffrir le martyr, je comprends
rien, j’en ai marre ! Qui es-tu ? Et qui c’est la gamine du bus ? C’est
quoi cette porte et pourquoi moi ? hurlai-je de toutes mes forces.
Je tremblais, j’étais encore sous le choc des événements du soir.
— STOP ! D’abord, calme-toi, je vais tout t’expliquer ! Je m’appelle
Tylia, j’ai dix-huit ans et je suis une chasseuse d’âmes !
— Une quoi ?
— Une chasseuse d’âmes ! Et s’il te plaît, ne m’interromps plus !
C’est assez compliqué à comprendre, alors laisse-moi aller jusqu’au
bout de mes explications. Je suis une élue, comme toi et la petite que
tu as rencontrée dans le bus. On nous a envoyés en mission pour trouver
d’autres élus. Je l’ai senti en toi dès que je t’ai vu. Nous avons
deux vies, la vie réelle et les rêves. L’anneau nous permet d’ouvrir
une porte si on le lui demande. Le problème, c’est que pour traverser
la porte, il faut montrer notre courage et notre détermination. Mais
une fois que tu as prouvé ta motivation, traverser la porte est simple.
Dès qu’on l’a franchie, on tombe dans un monde parallèle, le monde
des rêves. Très peu de gens peuvent le contrôler en dormant, mais
nous, nous avons une capacité spéciale qui nous permet d’interagir
avec les pensées des autres, et de les contrôler ! Bien sûr, ce n’est pas
un jeu, et c’est très dangereux ! Tu as déjà entendu parler de la
maladie du sommeil ? demanda-t-elle d’une voix claire.
—Oui aux infos, c’est une sorte de coma causé par des chocs émotionnels
touchant les pays développés, répondis-je d’un ton peu sûr et
perplexe.
— En effet, mais ça c’est la version officielle ! En fait, certaines
personnes se laissent embrigader dans leurs rêves. On ne sait pas
pourquoi ni comment, mais quelque chose les manipule. Ils s’endorment
et ne se réveillent plus. Notre rôle est de pénétrer dans leurs
rêves pour retrouver leur âme et les faire revenir dans le monde réel.
Malheureusement, beaucoup de chasseurs se sont fait piéger dans les
rêves des autres et sont tombés dans un coma plus catastrophique
encore. C’est pour ça qu’on cherche de nouveaux chasseurs ! Car si
ça continue, il n’y aura plus personne pour sauver les âmes. Autrefois,
les chasseurs d’âmes étaient entraînés et plus vieux que nous. A
présent, tous ceux qui ont un minimum de pouvoir sont envoyés
directement dans la porte, même les petits d’à peine dix ans ! finitelle
d’une voix triste.
Je n’éprouvais pas la moindre tristesse car pour moi, tout ceci était
un canular de mon imagination. La preuve, cette dénommée Tylia
avait à présent une chevelure avec de magnifiques reflets bleus, et
elle était vêtue d’un corset noir à ruban rouge qui laissait apparaître
le commencement de sa poitrine… ce qui me fit rougir. Mais ce
n’était pas fini ! Elle portait une jupe rouge à rayures noires, assez
courte pour réveiller les fantasmes de n’importe quel jeune homme.
Assorties à cela, elle avait des guêtres avec des chaussures assez
étranges, ses cheveux descendaient sur ses épaules nues. Et son
visage sérieux la rendait encore plus magnifique. La parfaite héroïne
de manga qui faisait rêver tous les ados (dont moi bien sûr !).
— Je ne te crois pas, tu n’es qu’un de mes fantasmes ! Bizarre
comme fantasme d’ailleurs... plaisantai-je.
—Ce n’est pas un rêve ! Enfin si, mais ce que je te dis est réel ! Je
t’en prie fais-moi confiance, on a besoin de toi !
— Ouais, alors tu peux me dire pourquoi tu es habillée aussi sexy
et extrêmement aguichante, ce qui est le contraire des vêtements que
tu portais dans le bus ? Ce n’est qu’un rêve, un point c’est tout !
répliquai-je.
— Quoi ! cria-t-elle rouge de confusion. Non, c’est mon costume !
Espèce de pervers, comment oses-tu me manquer de respect à ce point ?
Je ne pus m’empêcher de rire en la voyant gesticuler, tirer sur sa
jupe pour qu’elle paraisse plus longue, remonter son corset et proférer
des menaces en l’air.
— Abruti ! Moi je te parle d’un sujet très grave et toi tu te fous de
moi ! Tu n’es qu’une andouille bornée et effrontée !
Je rigolais de plus belle, quand une main me tira le bras, et me
propulsa une fois de plus dans le monde réel avec des douleurs au
ventre, mais cette fois-ci c’était à cause de mon hilarité.
— Grand frère réveille-toi, je n’arrive pas à dormir ! Tu veux bien
me lire ce livre s’il te plaît ? Après, promis, je ne t’embête plus,
murmura Lysi.
—Ne t’inquiète pas petite soeur, cela ne me dérange pas. Et je veux
même que tu dormes avec moi, si tu en as envie bien sûr, marmonnai-
je, endormi.
— Mais maman, elle va se fâcher !
— Non ne t’inquiète pas ! Allez grimpe que je te lise ton histoire !
— Youpi ! s’écria-t-elle en mâchouillant une barre Crountch.
— Tu sais que tu devrais arrêter de manger ces cochonneries !
— Tu peux parler Zack ! Il y a des papiers de gâteaux sous ton lit !
— Ça y est je suis découvert ! Installe-toi confortablement si tu
veux que je lise ton livre. Alors, il était une fois, une magnifique princesse
enfermée dans la plus haute tour d’un vieux château. Elle
attendait le valeureux prince qui viendrait la secourir en affrontant de
multiples dangers pour prouver son amour à la belle princesse…
— Tu sais Zack, c’est toi mon prince, dit-elle en bâillant.
A peine quelques minutes plus tard, Lysi, lovée dans mes bras,
s’endormit, et je ne tardai pas à la rejoindre. Je savourais ce moment
en sachant pertinemment que ma mère me jetterait dehors le lendemain…